T'es oud ?
D'entrée, la trompette bouchée de Nathanaël laisse échapper sa plainte. Long gémissement venu de la négritude asservie des états confédérés traversant l'océan de mes lieux communs pour faire corps avec mes sanglots.
Parce que le jazz, c'est noir ! Et le black c'est le sud étasunien, et donc l'esclavage …. écho à la servitude de mon âme en mal d'amour. Alors, je pleure aussi en mettant ma sourdine1. Au détour de mon échappée lacrymale, la mélopée du oud vient cueillir ma rosée pour irriguer ses sables désertiques. Parce que le oud, c'est … ! Oui, les clichés. Arabie, Yémen, Moyen-Orient, Maghreb, reine de Saba, les harems, mille et unes nuits.....
Le bois de l'oudiste2 Jean-Christophe véhicule alors mon âme passagère. Le Maghreb en une sorte de djihad sonore, armée de son luth et d'une boîte à rythme informatisée, se manifeste alors, répondant aux aigus jazzy du continent noir déporté. Les instruments pactisent soufflant joie, gaîté, paix et sérénité, bientôt rejoint par les trilles de la clarinette ashkénaze de Florent. Un quatuor cardinal … vibrante rose des vents sonore. Dans un dédale3 acoustique, les trois musiciens nous proposent l'accès à l'universel par delà l'espace et le temps.
Cette troisième dimension nous sépare Soledad et moi. Elle a besoin de temps et moi, je ne l'ai plus : je ne veux plus vivre d'illusoires espoirs. Cette barrière temporelle a construit entre nous une barrière de glace sur laquelle vient s'écraser la chaleur de ma main, illusionnée de possibles gestes amoureux. Nos yeux s'évitent. T'es où ?
Les multiples apports du jazz, des musiques klezmer et arabo-andalouse n'y pourront rien. Le lac gelé sur lequel je patine ne fondra pas. Est-il écrit quelque part que je serai toujours le peintre des batailles4 perdues d'avance ?
Sur scène, le « trio bois bleu » enchaîne ses mélodies, procède par contrastes, nous propose d'accepter que l'unicité surgisse du multiple. Par delà l'Atlantique et la Méditerranée, l'acoustique du trio imprime dans ma tête la rencontre des peuples vibrante d'élans fraternels.
Contraste affligeant avec la réflexion qui m'habite ; mes sentiments virent à l'écharpée belle : « elle s'est perdue pour venir chez toi ! D'évidence, un acte manqué. Peur d'être engagée de force ? Perte de confiance ? Lâcher d'écharpe ? ».
L'Amour est une voie à double sens, non ? Allez, Bart, impose-toi de trancher, aussi douloureux que cela puisse être, tu ne connais que trop ce chemin des amours fantasmées. Être dans une relation responsable. N'est-ce point le concept de l'écharpe ?
Au final, le joueur de oud délivre des messages qui ne m'atteignent plus. Le bleu du bois, le bleu translucide de la glace, les bleus de mon âme …. une voie sans issue.
Bart, t'es où ?
Demain est un autre jour et je ne me poserai plus la question, ma note sera bleue.
Les jardins de l'aqueduc, 14 février – 2 mars 2016
1Les sourdines sont des accessoires que l'on positionne dans le pavillon des instruments de la famille des cuivres afin d'en modifier le timbre
2L'oud est un instrument de musique à cordes pincées très répandu dans les pays arabes, en Turquie, en Grèce, en Azerbaïdjan et en Arménie. Son nom vient de l'arabe al-oud signifiant « le bois ». Les joueurs sont appelés oudistes
3Clin d’œil à un des morceaux du groupe
4Référence à l’œuvre Le peintre des batailles d'Arturo Pérez-Reverte
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