Pas besoin de Place Rouge
Depuis plus d'une semaine, elle vient habiter ses endormissements et ses éveils. Après des mois d'approche timide, il a eu l'audace de la courtiser ouvertement devant ses collègues de travail. Qui plus est, à deux reprises !, lui ouvrant illico les portes du panthéon de ses rêveries les plus folles.
Pour l'heure, en cette nuit du 23 au 24 décembre, elle est venue vivre son éveil nocturne dans cet hôtel nivernais, chambre 103.
Comme toujours en ces cas là, son esprit s'en est allé vagabonder du côté du piscenois Lapointe en s'essayant aux jeux de mots sur son prénom.
Nathalie.
Nath à lit, son imagination ne va pas encore jusque là (quoique!) ; il a tant peur de ses ascenseurs à illusions.
Nath à lie, quelque peu ragoutant …. quoique les bonnes lies fassent les bons vins et vice versa.
Nath à lys, natte à lys. Il prend plaisir à l'imaginer adolescente, ses cheveux miel semé des fleurs de France. Tout à son écrit, il se susurre in petto « j'aime les blondes et alors, j'aime ses cheveux d'or comme un soleil ... ». La chanson pour Romane Serda1 le conduit à surfer sur les vagues de l'espoir, dans l'écume illusoire d'un possible amour.
Allez, elle doit avoir dans les …. Son comportement, ses réponses, ce n'est pas possible autrement : elle doit être née sous le signe du cochon, 1971, ou celui de la chèvre 1967, non c'est trop vieux, donc 1979, hou là là ! Ou le signe du chat comme lui, sinon comment expliquer une telle connivence. Son âge est donc compris dans une fourchette allant de trente six à quarante huit ans. Quarante-quatre ans lui paraît être l'âge le plus adapté à la jeunesse de son regard.
Eh oui, il est bel et bien reparti à glisser sur des ondes chimériques. Telle la pie, il amasse tout ce qui brille et le ramène au nid pour tresser les fondements de ce qui n'existe pas.
Son ami César s'invite dans ses pensées et le ramène à des réalités plus techniques : « il te reste à lui passer ton 06 pour une invitation à une expo, l'après-midi, pas le soir, histoire de ne pas polluer son esprit avec une coucherie possible et immédiate » lui a-t-il dit récemment.
Oui César a raison. Mais comment va-t-il lui faire parvenir un billet doux ? Et surtout, que va-t-il lui écrire ? En fait, c'est sûrement ce besoin d'écrit qui l'a éveillé et poussé à l'insomnie.
Après une pause, il s'attelle à sa rédaction.
Nathalie
N comme noble
A comme allégresse
T comme toi
H comme hallucinante hardiesse
A comme Amour
L comme libertine
I comme inconnue encor'
E comme envie d'espérer
Me pardonnerez-vous d'avoir tissé ces mots adolescents avec votre prénom ? Ils ne sont que le reflet de l’intérêt que je vous porte.
Car, est-ce bien normal qu'à peine arrivé dans votre magasin, mes yeux vous cherchent, me laissent désolé s'ils ne vous voient pas, se font rieurs, charmeurs, hardis si vous êtes là perchée sur une gondole ou la tête plongée dans une vitrine réfrigérée ?
Votre sourire libère mes paroles et me donne le sentiment que vous leur faites bon accueil. Je ne sais que très peu sur vous : nous nous sommes croisés à la sortie de le plage naturiste, on ne vous a pas gâté pour la St Valentin, vous ne portez pas d'alliance, vous avez un jeune garçon de dix-sept ans et n'êtes donc pas encore grand-mère !, vous avez des responsabilités au sein du supermarché et vous avez un sourire étincelant.
Votre attitude avenante et accueillante me fait oublier la différence d'âge, mon bedon, elle me donne la hardiesse de m'enquérir de vous quand je vous croise dans les allées. Vous ne connaissez même pas mon prénom, alors que votre badge …
Personnellement, je n'aimerai pas en rester à cette mutuelle méconnaissance l'un de l'autre. « Un chemin de mille lieues commence toujours par un premier pas » a dit Lao-Tseu. Endiguant mes peurs, je m'en viens donc vers vous. L'homme propose …. La médiathèque consacre une exposition aux jouets d'antan et d'autrefois. Cela vous tenterait-il d'évoquer nos enfances à travers les objets exposés ?
Ne voulant pas prendre le risque de passer à côté d'une belle histoire, voici mes coordonnées.
Bertrand Santucci
Mansarde sous les toits
17 rue Jean Aicard
83700 Saint Raphaël
0 686 920 529
Vous pouvez appeler jusqu'à tard dans la soirée. Dans l'espoir que Nathalie devienne Nath à liesse. Amoureusement vôtre
Bertrand
Il est content. Fier de lui. Il a enfin pondu son œuf ! Heureux de cette insomnie prénathale. Va-t-il se risquer ?
A son retour dans ses pénates, il a osé. Discrètement, dans l'Intermarché, un enveloppe a changé de main.
* * * * *
Elle savait qu'il n'avait rien du bel étalon, mais, à sa grande surprise, elle a trouvé un gentleman et depuis elle semble avoir des étoiles dans les yeux.
Jusqu'ici, elle avait perdu l'habitude, décroché les clés de la solitude, découvert des déserts arides … là, au bord de la mer à Saint-Raphaël, elle avait même perdu la chaleur de ses pull-overs ! Elle s'était créée l'Enfer au Paradis. Esclave du manque, elle marinait dans ses fantasmes sexuels, les justifiant à grand coup d'adages et d'aphorismes : « les câlins sont la nourriture du cœur et de l'âme » …. Elle adore les câlins, les vapeurs et les petits vents de folie.
Nathalie a toujours rêvé d'archipels, de vagues perpétuelles, sismiques et sensuelles images oniriques d'un amour qui la flingue, d'une fusée qui l'épingle au ciel2 . Elle se vêt en conséquence. L'endroit le plus érotique de son corps n'est-il pas là où le vêtement baille ?
Cependant, elle refuse qu'on se méprenne sur sa personnalité et son attitude. C'est pourtant simple : sa personnalité reflète qui elle est et son attitude dépend de qui lui fait face. Cette conviction profonde lui a amené quelques déboires … parce que certains mâles ont reçu un cerveau par erreur là où une moelle épinière aurait amplement suffit !
Féminisme en bandoulière, elle a très tôt formulé ses adages, ses préceptes, sortes de sentences anaphoro-métaphoriques : sexy ne veut pas dire salope, attirante ne veut pas dire allumeuse, charmante ne veut pas dire pute, accessible ne veut pas dire fille facile, timide ne veut pas dire coincée, amoureuse ne veut pas dire prête à tout, femme ne veut pas dire objet !
Axiomes qui n'ont pas toujours été fertiles. Elles a rencontré quelques joies et beaucoup de peines … c'est parfois une question de chance, souvent une histoire de choix. Aujourd'hui, elle sait que la déception ne vient jamais des autres, elle n'est que le reflet de ses erreurs de jugement.
Elle se délecte, ce jour, du billet qu'il lui a glissé discrètement, ânonnant in petto : N comme noble, A comme allégresse, …amoureusement vôtre !!!!
Tous ces mots la percutent, l'imprègnent, l'envahissent, la remplissent.... plissent, plissements, plis. Ce dernier mot la renvoie aux textiles et fait sens.
Elle a toujours tissé sa vie au fil de ses envies, ses passions brodées n'en finissent pas d'ourler ses pensées. Pêle-mêle, effiloché, un fil enchevêtré … avec l'irrésistible tentation de tirer dessus.
Ses envies ! Piquées, cousues, décousues : le fil de sa vie sont toutes ces coutures.
Ses émois en pelote, elle s'offre un dé d'attente. Parfois son cœur a besoin d'un peu de temps pour accueillir ce que son esprit sait déjà.
Et puis, un vent de folie la pousse, sa décision est prise.
Elle monte le rejoindre dans sa mansarde, se créant au passage un souvenir physique : une grosse bosse contre une grosse poutre en châtaigner, sorte de fourche caudine dans son ascension vers le septième ciel. Un temps, ce heurt a raisonné son cœur bouleversé, en effervescence qui, bourré d'adrénaline, a tressauté de plus belle.
Enfin, elle est entrée dans les fragrances vanillées de sa peau y mêlant ses propres effluves marines. Et elle a ordonné : « Fais-moi jouir avec ta langue ». Alors, il lui a lu des poèmes. Elle en est restée abasourdie. Un gentleman, un homme enfin ! Qui la reconnaît : belle, accessible, charmante, amoureuse, Femme tout simplement. Elle s'est lovée au creux de son corps. Puis, cœur contre cœur, ils ont parcouru les chemins de leur mutuelle géographie savourant monts, vallées, embouchures.
Et au matin, elle est repartie vers sa vie de supermarché essayant d'oublier déjà cette parenthèse dans son CV. Butinant de gondoles en rayons, son esprit papillonne sur ces fleurs du Bien cueillies cette nuit.
Sa journée de labeur achevée, les ruelles du vieux Saint-Raphaël la reconduisent chez l'Autre, cet homme qui partage depuis peu son chemin. Rien de tendre ou de flamboyant. Juste sa sollicitude suffisamment forte pour l'aider lui . « Parent sauveur » : l'autre côté de sa personnalité. Elle est une béquille, un soutien dans sa marche rédemptrice sans alcool.
Dès son entrée, elle lui fait bonne figure.
Lucidité des ivrognes ? L'Autre sent bien qu'elle n'y est pas, percevant cet espèce de flou nouveau qui l'habite toute entière.
Cependant, ils se sont endormis côte à côte, … l'esprit de Nathalie enfourchant son vieil étalon : Bertrand, Bertrand, Bertrand ! Leurs corps s'enlacent, s'embrassent, s'embrasent. Animal, il la renifle comme un chien. Elle sent son poids sur elle. Son corps lutte. Non ! Elle ne veut pas. Sa bouche refuse les baisers, elle se débat. Pénétrée de force, elle hurle dans la nuit. Du sang emplit sa bouche, inonde sa chemise.
L'Autre, noir d'alcool, est affalé sur elle fouillant sa chair fraîche : morsures.
Réagir vite pour empêcher sa mort sûre, elle se libère de l'emprise forcenée : « allô, la gendarmerie … »
Dans l'attente des secours, elle s'efforce par la voix de tenir l'Autre à distance. Il s'affale en pleurs. Delirium tremens diagnostique le SAMU.
Nathalie finit par ouvrir les yeux. Sur son drap blanc d'hôpital, la main encore puissante de Bertrand tient la sienne.
Montpellier, le 28 janvier 2016
* * * * *
Remerciements
à Nathalie du petit Casino du rond point de le Lyre à Montpellier, la muse inspiratrice de cette histoire. Comme on dit dans la distribution alimentaire : « j'ai le béguin t'sais »3. En espérant qu'elle ne se reconnaisse pas dans le portrait que je fais d'elle.
Aux femmes internautes de différents sites de rencontre pour la gracieuse mise à disposition de leur fiche de présentation : Gemma78, Rayonnante, Annaelle69, Lililule, Edelweiss250, Vahina16, Caroline94, Stella0633, Hope27, Orchidée1964, Sissi61. Elles m'ont inspiré les passages féministes et la « copie » de Bashung !
À mon amie, Jackpot, qui m'a conté un jour son histoire.
1Dernière épouse de Renaud Séchan
2Voir les remerciements à la fin du document.
3Bégin-Say : ouais bon !
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 28 autres membres