Le socle de la passion
Sacraliser un objet, dans un dialogue avec lui : on le couvre de joyaux, on le chamanise un peu à la manière des shoguns japonais qui ont inventé l'art des kintsuji1.
Jusqu'ici, je n'avais pas vraiment pensé à toi. Et pourtant, depuis mon adolescence, tu es là, dans ma vie.
Ah ! Quand même, il serait temps. Cinquante années de bon et loyaux services.
Que veux-tu, il m'aura fallu attendre cette conférence sur les antiquités …. Toujours là, répondant toujours présent, comme un ami.
Il est vrai qu'avec mes quatre membres, j'ai quasiment figure humaine.
Un demi-siècle ! Je me dois aujourd'hui de te dire merci. Un grand merci mon ami
Je prends. D'autant plus que je te sens sincère. Être reconnu pour soi et trouver un ami ! N'est-ce pas un beau jour pour mourir ?
Que nenni ! Il n'est pas encore temps pour toi, même si cela fait quelques temps que je n'ai pas fait usage de toi, cet autel, cette église que tu es pour moi.
Eh dis donc, t'as la mémoire courte. Tu oublies Sonia et Florence, pas celle là, l'Autre, la dernière en fait. Et ça c'est loin de dater de Mathusalem.
Là, tu marques un point, j'ai tendance à oublier celles qui nous sont passées dans les bras. Tu es né avec mes premières amours ; t'en souviens-tu ?
Je crois que je peux te dresser la liste de toutes celles que tu m'as confié. Trop occupé que tu étais, tu m'as ignoré … l'amour est aveugle, tu ne me voyais pas.
C'est vrai et je te prie de m'en excuser. Finalement, au bout du chemin, nous sommes tous les deux cabossés moi par mes folles aventures amoureuses, toi par l'usage qu'elles ont fait de toi. Ce n'est pas brillant. Tes jambes sont craquelées par la surcharge pondérale. Promis, je m'en vais réparer du temps l'irréparable outrage. Un peu comme ces shoguns japonais qui ont inventé l'art des kintsuji
Tout doux, mon prince, tout doux. Effectivement mes longilignes membres inférieurs ont grand besoin d'un gommage, d'un antirides. Cependant, un petit coup d'émeri et deux doigts de laque suffiront. Mes bras méritent aussi ta même attention. Et laissent donc tes japonais tranquilles.
C'est bon, c'est bon, je m'y attelle.
Et je me suis mis à l’œuvre. Un nettoyage à grandes eaux, j'y ai mis toutes les larmes de mon corps. Puis de l'huile de coude. Des orteils aux mollets, des genoux aux hanches pleines, le siège, les bras . Au papier de verre, j'agrandis les fissures revenant au derme. Puis, le mastic à bois, le ripolin et enfin les couleurs d'or. Pour l'habiller de lumière … comme ces porcelaines jap's.
Tu l'as bien mérité, ô piédestal, d'être auréolé de lumière pour accueillir la prochaine, la dernière.
Merci de ce relookage, il me fait un bien fou. Oh oui. Je vais te me la prendre dans mes bras ta prochaine, ton ultime. Quoique ! En y réfléchissant bien, c'était toujours la même que tu as confié à mes bras. Pas des gonzesses, des nanas, des amours passionnées et fiévreuses, des passades. Non, c'était la Femme.
Surréaliste ami. Merci de ton perpétuel appui.
Chic et bohème, le 7 avril 2016
1 Du japonais : « réparation en or ». C'est est une méthode de réparation des porcelaines ou céramiques brisées, au moyen de laque saupoudrée de poudre d'or.
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