Des souvenirs faits main
Le toucher : la littérature à fleur de peau exprimée sous forme de dialogue.
Ah ! Il est heureux Richard, Benjamin, son père, vient de lui confier son appareil photo numérique … il est autorisé à réaliser autant de prises de vue qu'il désire. Il ne va pas s'en priver.
Dans la maison de retraite, sa jeunesse fait la joie des résidents, cependant, son regard digital est inexorablement attiré par sa grand-mère qui dialogue en silence avec son fils. La main tavelée de tâches de son reçoit l'onde chaleureuse de celle de Benjamin ; elle lui dit son enfance, ce sein doux maternel qui accueillait ses gloutonnes succions.
Les cinq doigts aujourd'hui tout ridés, l'interrogent :
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« Te souviens-tu de nos tapotements dorsaux destinés à l'évacuation de tes glaires nocturnes ? »
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Mon corps s'en souvient, c'est sûr, moi non. En revanche, mes fesses n'ont pas oublié les caresses orageuses de tes ires éducatives.
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Et quand tu as commencé à poser tes mots au creux de ma paume ? Quels beaux échanges nous avions. Pauline m'avait appris patiemment à lire.
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Bien sûr, mes doigts s'en souviennent. Tu m'as dit que j'écrivais bien. En fait, au début mon index discriminait chaque lettre, te laissant le temps de lire.
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Je ne te l'ai sûrement jamais avoué, mais mon interprétation était immédiate. Car ma peau a très vite appris ; je savais déjà lire quand tu es passé aux mots.
Le pouce de Ben caresse le dessus de la main de sa mère, puis sa paume, elles lui disent sa cour de récréation.
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Ton inspection tactile quotidienne te disait ma journée : « Oh ! Tu es joué au foot, tes mains sont sales, hé mon goal1 ! Va les laver ».
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Tu me tâtais les muscles que je croyais herculéens, mesurant ainsi ma croissance au rythme de mes cours de gym dessinés le long de ta ligne de vie. Et le jour où tu as découvert ma moustache naissante, ces quatre jeunes poils, Papa ne les avait même pas vus !
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Si tu savais combien j'étais heureuse de sentir sous mes doigts ton adolescence fougueuse, cette chaude montée de sève qui parcourait les fibres de ton corps. Dans ma tête, mes ongles dessinaient déjà la silhouette de tes futures amours.
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Que de leçons apprises à l'aune de tes mains. Aujourd'hui, à l'aveugle, je connais chaque parcelle de chair de mes amantes. Merci de ce don de toi.
Richard immortalise ce silence parlant, ces deux mains entremêlées dont il lui semble percevoir le murmure fracassant qui lui raconte les maillons de sa chaîne familiale.
Chic et bohème, le 26 novembre 2015
1Ainsi s'appelait dans ma jeunesse et en « bon français » le gardien de but !
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